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9 mai 2007 3 09 /05 /mai /2007 20:05

alliance.jpg

Ce matin je me suis réveillé en étant marié.
En fait, je ne me suis pas réveillé tout seul,
c’était l’œuvre d’un violent coup de coude qui m’a plié en deux
sans me faire rire le moins du monde.
« Debout feignasse, il est l’heure d’aller trimer », m’a dit la voix cotonneuse
qui sortait de dessous un oreiller surgit de nulle part.
Mais moi, je ne l’entendais pas de cet oreiller,
et alors que j’essayais de reprendre mon souffle qui était aussi court qu’un métrage,
une terrible ruade m’a éjecté du lit.
Je me suis relevé aussi péniblement que si j’avais été cassé comme un vase de Soissons.
Et c’est alors que je l’ai vu, le cliché sur la commode.
C’était moi déguisé en jeune marié, avec à mes côtés, souriante tout pareillement,
une jeune mariée déguisée elle aussi, mais en fille.
Quand je dis à « mes côtés », l’expression est tout a fait juste
tant elle débordait tout autour de moi et ce n’était pas que les frous-frous de la robe.
Je devais avoir dans les vingt ans, c’est dire si ça me rajeunissait d’autant.
L’objet du délit se trouvait à présent dans le mien.
Elle semblait n’avoir pas maigri.
Bien au contraire.
Ce qui ne m’encouragea pas à me rebeller.
« Et n’oublie pas que je prends deux sucres avec mon café, connard.»
J’ai compris d’entrée de jeu que Connard n’était pas la marque du café
mais  que ce terme s’adressait plutôt à moi en priorité et exclusivement. 
J'en ai pris bonne note. 
Une tête est sorti lentement de dessous l’oreiller,
comme dans le pire film d’épouvante que vous n’avez jamais vu.
C’était elle, celle de la photo d’il y avait vingt ans, mais en pire si c’est possible.
Si, c’est possible.
Je me suis pensé dans ma tête, et surtout pas à haute voix,
que je ferais mieux d’aller vite fait faire le café avant qu’il ne m’arrive quelque chose d’atroce.
J’y suis allé d’autant plus vite que son haleine était tout à fait insupportable
pour quelqu’un d' aussi délicat que moi. 
C'était comme un mélange d'égout parisien et de vieux vomis,
plus une petite odeur indéfinissable qui me laissait perplexe. 
Alors que le café passait aussi lentement que le temps qui s'écoule,
je me demandais avec anxiété si on avait eu des enfants,
et si oui, quelle tête ils avaient.
J'ai espéré avec toutes mes forces du désespoir que non.
Je lui ai apporté au lit le petit déjeuné sur un plateau,
J'avais tartiné deux biscottes dans le but non avoué mais bien réel de l'amadouer.
"C'est pas trop tôt", qu'elle m'a fait sans un sourire, et c'était aussi bien
car je n'avais aucune envie de savoir ce que donnait un sourire sur cette sorte de visage,
je suis assez émotif comme garçon.
"Bon c'est pas le tout, faut que j'aille travailler", que j'ai dit histoire de m'esquiver telle l'anguille.
"C'est ça, en rentrant n'oublie pas qu'il faut poser une tringle dans le cagibi, bon à rien."
"Oui, oui", que j'ai dit alors que je courrais tout seul dans le couloir comme dans une chanson de William Sheller
où il courre tout seul, il courre, et il se sent  toujours tout seul
mais moi la différence c'était que je courrais encore plus vite et que j'étais encore plus seul.
 
La concierge m'a demandé comment allait madame.
J'ai répondu « bien », à tout hasard.
"Tant mieux ", qu'elle a fait.
J'ai pas confirmé.
 
J'ai filé tel l'éclair un soir d'orage chez Gustrave;
peut-être qu'un ou deux litres allait me sortir de cet affreux cauchemar,
et s'il fallait boire toute sa réserve je n'allais pas hésiter une seconde de plus.
Gustrave m'accueillit à bras ouverts et ça me fit aussi chaud au coeur qu'une bonne bière.
"Qu'est-ce que tu deviens, qu'il me dit, on ne te vois plus guère ces derniers temps."
"ça doit-être à cause de ma femme", que j'ai répondu penaud
et un peu honteux quand même.  
ça a fait rire tout le bistro.
Je voudrais bien les voir avec leur femme tous ses forts en gueule,
« Que celui n’a jamais craint sa femme me jette la première bière ! »
Comme je n’ai rien reçu, j’en ai commandé une.
Plus personne ne pouffait, ils étaient tous dans leurs pensées.
Des pensées pleines de regrets à coups sûrs.
Pour la première fois de ma vie je me suis dit
qu’il faudrait que j’arrête là au niveau de la bière.
Je devais conserver tous mes moyens qui le sont déjà dans mon état normal.
Je n’oubliais pas qu’il me faudrait, en rentrant, poser la tringle dans le cagibi
et ça avait intérêt à être droit, je sentais bien qu’elle ne rigolait pas avec ça.
Et puis aussi, j’ai l’alcool triste, je ne tenais pas à l'être encore davantage.
Je ne l’aurais peut-être pas supporté.
 
Je suis allé chez Bricolorama.
J’ai acheté une tringle et tout ce qu’il faut pour la poser.
J’ai demandé des conseils pour la pose au type qui donne des conseils.
Il en a profité pour me vendre une perseuse-visseuse-tringleuse.
Elle allait voir ce qu’elle allait voir la grosse.
Je suis rentré comme Monsieur Bricolage.
 
Elle n’était pas là. Tant mieux. J’allais lui faire la surprise de la tringle.
Dire que j’ai bien réussi du premier coup serait exagéré,
Mais le résultat valait le coup d’œil.
Le cagibi était devenu d’une fonctionnabilité exemplaire.
Ne voulant pas m’arrêter en si bon chemin,
j’ai fait à manger (une daube en sauce (une sorte d’hommage)),
j’ai mis la table et je me suis dit que j’aurais dû acheter des fleurs, des roses,
Enfin, fallait pas charrier non plus, j’avais pas envie de lui offrir des roses,
où juste les épines alors.
 
Quand elle est rentrée, elle a filé dans le cagibi.
Elle allait avoir une drôle de surprise, je suis certain qu’elle pensait que j’avais rien foutu,
Elle était bonne pour tomber des nues.
Enfin, j’espérais que ça n’allait pas l’exciter non plus.
Pas de danger, elle m’a traité de baltringle parce qu’elle n’était pas droite.
Je lui ai dit, pour me faire pardonner, que j’avais fait un bon petit plat.
Elle m’a dit qu’elle était au régime et qu’elle allait se coucher.
J’avais pas remarqué que je me suis pensé.
J’ai mangé ma daube tout seul en ne regardant pas la télé parce que ça l’empêchait de dormir.
Je me suis allongé sur le canapé du salon en espérant
que demain je me réveillerais en étant veuf.
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commentaires

M
Cela fait du bien de revenir flâner ici après des semaines sans avoir visité ce blog.J'ai beaucoup apprécié ce texte. J'apprécie particulièrement la constante dans "J'ai une vie merveilleuse" : la concierge, la bistrot, Gustrave. On s'attache assez vite au décor  de ces vies, d'autant plus que le style est agréable et l'imagination abondante.Chapeau Gilonimo ;)
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D
Merveilleux, fantastique, extraordinaire !!Gilo recommence à avoir une vie merveilleuse, et j'adore ça !
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M
tu connais " le jour sans fin " .. ou "le jour sans faim" je ne sais plus trop .. gnack gnack .... :-)
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A
ce matin je me suis réveillé en lisant le blog à la con.<br /> <br /> enfin j'étais déjà presque réveillé depuis un certain temps <br /> qui correspond étrangement au temps qu'il me faut <br /> pour tremper ma huitième clope dans mon quatrième café de la journée qui, <br /> d'ailleurs, n'en finissait pas de s'étirer de s'étirer <br /> comme un sourire qu'auraient formé mes lèvres et mes dents <br /> au même moment que je lisais le blog à la con. <br /> <br /> je réalisai alors que j'avais<br /> une vie merveilleuse.<br /> <br /> <br /> merci gilonimo.
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