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23 août 2006 3 23 /08 /août /2006 10:15

Carnet.gif 

Il est assis en face de moi, de l’autre côté du bureau,
du bon côté, là où on peut glisser ses pieds dessous
et là où il y a des tiroirs pour ranger des trucs dedans.
Il me regarde sévèrement.
- Bon, voyons voir ce carnet, qu’il me fait. 
- Ah oui, le carnet. 
Je fais semblant de le chercher dans mon sac,
Je peux encore lui dire que je l’ai oublié,
Mais ça va être pire.
- Ah, le voilà. 
Je lui tends, ma main tremble légèrement.
Il le feuillette doucement.
Parfois, il s’arrête un peu plus longuement sur une page,
Il relève la tête et me regarde avec un petit sourire indéfinissable.
- C’est pas terrible. Il faudrait faire des efforts le soir. 
Aurait-il remarqué la supercherie ?
Ce carnet est un faux.
Je l’ai fait hier soir.
Du mieux que j’ai pu.
J’ai changé de stylo plusieurs fois pour l’embrouiller.
Il est pas super, ça je le sais, mais c’est fait exprès,
De toutes façons je pouvais pas le faire extraordinaire au vu de mes examens.
J’ai mis quelques pics et aussi un petit malaise pour faire plus vrai.
- Vous avez fait un malaise ? 
J’aurais peut-être pas dû le mettre surtout que c’est même pas vrai.
Maintenant faut que j’explique un malaise que j’ai pas eu.
Des fois, quand on veut trop bien faire, c’est pire.
J’explique, enfin j’essaye mais il me coupe
et me demande des précisions, des détails,
je bafouille, me contredis, il fini par me demander si je vais bien.
- Oui, oui. 
- On fait un petit contrôle ? 
- Si vous voulez. 
Il me croit pas l’enculé.
Ouf, 110.
- C’est bien.  On prend la tension ? 
- Super. 
J’espère que ça va la faire tomber.
Il me fait mettre en slip et torse nu.
Putain, j’ai bientôt cinquante ans et  je suis encore obligé de faire des faux
pour pas me faire engueuler.
J’ai trop envie de l’envoyer chier avec son carnet.
Je ne serai jamais un bon petit diab',
J'ai pas la mentalité 
A noter toutes mes prises de glycémie bien bien sur un carnet,
Ce truc, c’est pas fait pour moi.
- La tension ça va, voyons voir les reflexes. 
Il en profite pour me filer des coups de marteaux sur les genoux.
Après il écoute mon dos.
- Cessez de respirer. 
J’espère que ça ne va pas durer trop longtemps.
- C’est bon. Vous pouvez vous rhabiller.
Mes habits sont sur le dos de la chaise.
On va se rasseoir.
Je fais semblant de me tromper de côté
Et je prends un air de médecin soucieux :
- Que diriez-vous d'une petite coloscopie ?…  
Comme je suis en slip et en chaussettes je trouve ça marrant.
Pas lui.
- Oh pardon !  Je gagne mon côté sans en rajouter comme faisait Maxwell*.
Le problème de la province,
c’est qu’on n’a pas trop le choix au niveau des diabétologues.
A Paris, j’en avais trouvé un pas trop chiant et qui avait de l’humour.
- Vous devriez essayer de transférer les données de votre lecteur de glycémie
sur un ordinateur, ce serait plus pratique que le carnet,
Et plus fiable, qu'il me dit sévère alors que j'enfile mon pantalon.
- Oui docteur, que je fais penaud, mais j’ai pas le logiciel.
Je trouve toujours les bonnes excuses.
Il me fait quand même mon ordonnance,
Il en profite pour rajouter toute une batterie d’examens :
Fond d’œil, électrocardiogramme, test d’effort, Glycosurie des 24 heures,
Glycémie à jeun et 2 heures après le repas, albuminurie.
Je me vois lentement tomber dans le trou de la sécu.
- A votre âge il vaut mieux être prudent. 
Quoi mon âge ?
Je suis pas vieux.
Il faut être prudent, il pense à qui ?
Il n’a pas envie de perdre un client ou quoi ?
En tout cas, il fait beaucoup plus vieux que moi.
Je regarde la tête de mort démontable qu’il a sur son bureau.
Je me demande à quoi ça sert.
C’est peut-être un cadeau qu’on lui a fait.
- Vous réglez en bas. 
Il se lève et me sert la main.
- A dans trois mois avec vos analyses.  

Faut que je trouve un autre diabétologue avant de mourir.  

 


(*) Il s'agit de la marque de café et non pas du célèbre Physicien Ecossais James Clerk Maxwell
mort le 5 nov.1879 à Cambridge.(Note de l'éditeur)

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